rosa rosa rosae rosae
Marc Buchy, buren, Sofia Caesar, Audrey Cottin, Maíra Dietrich, Eva Giolo, Maxime Jean-Baptiste, Alicia Jeannin, Sabir, Charlie Usher, Yoann Van Parys, Eleanor Ivory Weber
10.0115.02.2019, SB34The Pool, Brussels, BE


“Tout alentour, l’idée se relaie. Quand vous éveillez un constat, une certitude, un espoir, ils s’efforcent déjà quelque part, ailleurs, sous une autre espèce. Aussi bien la répétition est-elle, ici et là, un mode avoué de la connaissance. Reprendre sans répit ce que depuis toujours vous avez dit. Consentir à l’élan infinitésimal, à l’ajout, inaperçu peut-être, qui dans votre savoir s’obstinent. Le difficile est que l’entassement de ces lieux communs n’échoue pas en un bougonnement sans nerf – l’art y pourvoie ! Le probable : que vous alliez à fond de toutes confluences, pour démarquer vos inspirations.”[1]

L’exposition rosa rosa rosae rosae réunit des œuvres et un programme performatif croisant des enjeux liés au langage, à la connaissance et à la transmission, en privilégiant dans leurs thèmes et leurs formulations la communication orale. L’oralité s’y donne comme un point de rencontre entre des temps et des espaces distanciés. Elle se fait le vecteur d’aller-retours entre des références héritées et des projections futures, entre les constructions collectives et les identifications individuelles, entre l’autre et le soi. Transmettre, dans ce contexte, fait appel à la notion de relais, jouant sur les références à la communication comme un détournement de sa machinerie (émetteur – récepteur : l’espace) et à celle de la généalogie (filiation artistique – hommage : le temps). rosa rosa rosae rosae entend mettre à jour une poétique de l’apprentissage à travers les transpositions et les déplacements, qu’ils soient sonores, visuels ou sémantiques, répondant à la dynamique du mouvement et de la relation. Les œuvres réunies dans le projet prennent la transmission pour thématique, mais elles ont également en commun une certaine approche de la composition qui, lorsqu’elle revendique une approche méthodique, laisse une large place au hasard des résultats et qui, dans sa dimension ludique, initie bien souvent une chaîne de perturbations.  Les effets de répétition, de réverbération et de variation sont ainsi produits par divers protocoles d’écriture : citation, collage, enregistrement, séquence, superposition, traduction, transcription, transposition, permutation, autant d’entrées qui témoignent de la capacité de la langue à faire environnement entre idée/pensée et chose/monde réalisé.
Le titre rosa rosa rosae rosae se réfère à l’exercice scolaire de latin, à l’apprentissage et l’incorporation d’une abstraction à force de répétitions, aux mots décontextualisés par ce même exercice, aux jeux de la traduction ou aux souvenirs pénibles de la version, aux projections sur un passé et aux vides à combler au présent. La sonorité et les variations des quelques lettres qui se modifient au fil de l’allitération renvoient aux déplacements sinueux du sens, évoquant ceux de l’idée que l’on saisit à travers l’espace et le temps. Ce titre s’inspire en réalité d’une œuvre, un diptyque photographique de Jan Vercruysse (1948-2018) intitulé Rosa / Rota II (1984) issu de la série d’autoportraits de l’artiste. Sur la première image, il tient un panneau listant la déclinaison du mot latin rosa (la rose), permutant deux termes à la version traditionnellement enseignée ; sur la seconde, le panneau n’a plus qu’un mot: rota (la route, la destinée). Ici, l’artiste en figure de poète dissimulé sous le geste de cette action, s’immisce dans l’intervalle entre les mots, entre leurs sens et leurs usages, donnant à la pensée la force symbolique d’une présence et d’un élan fixés par l’image.
        Ce jeu de références et d’inspirations permettra de sonder les effets de cet usage de la répétition et du remploi de matériaux textuels dans le contexte contemporain, où les méthodes du découpage et de l’association hasardeuse passent désormais par les  ctrl c / ctrl v / ctrl f et autres raccourcis clavier. La composition par combinaison puise dans la bibliothèque infinie que représente l’univers du net, et l’on réalise que le fait que recourir aux protocoles, de s’imposer des méthodes d’écritures non-créatives pour reprendre le postulat développé par Kenneth Goldsmits[2], produit des résultats non seulement éminemment sensibles et des surprises poétiques et narratives, mais aussi étrangement éloquents sur le paradigme de notre temps.






[1]
Édouard Glissant, Poétique de la relation, Paris, Gallimard, 1990, p.57
[2] Kenneth Goldsmith,L'écriture sans écriture - du langage à l'âge numérique [Traduction de François Bon], Paris, Collection Uncreative Writings, JBE, 2018




©Yoann Van Parys